Ne pas confiner totalement sa population a été un choix fait par plusieurs pays, dont la Suède, par exemple, qui laisse encore aujourd’hui les individus décider eux-mêmes s’ils restent chez eux ou continuent à vaquer à leurs occupations. La logique des dirigeants a été de préserver l’activité économique tout en permettant à tout un chacun de participer activement à la lutte contre la diffusion de la maladie, à son échelle. On peut dire qu’il s’agit d’un choix de décentralisation des décisions, et la simulation agents, technique proposée sur ce site, est souvent utilisée pour traiter de ces questions.
Les recommandations données à la population en Suède sont :
Pour pouvoir mettre en place une telle politique il faut au moins deux pré-requis qui ne sont pas universels : tout d’abord que les symptômes de la COVID-19 dans ses formes les plus légères soient connues de la population, afin que chacun puisse décider s’il est ou non infecté ; ensuite que chaque travailleur soit soutenu sérieusement par l’Etat pour négocier avec son employeur la possibilité de se mettre en télé-travail ou en arrêt maladie alors que l’accès à un médecin n’est pas toujours immédiat.
Ces pré-requis permettent de poser l’hypothèse dans notre modèle que les individus sont véritablement autonomes dans la gestion de leur comportement.
Présentation du modèle
Le modèle utilisé est basé sur le modèle de la question 6 du confinement qui a été adapté en particulier pour prendre en compte la possibilité d’un confinement ciblé. La taille de population a été augmentée à 1000 : cela rend le modèle visuellement un peu moins lisible mais permet d’observer plus de phénomènes dans la durée ; dans le même temps, le mode de transmission a été légèrement transformé. Enfin, la dernière modification est que chaque agent qui est considéré comme immunisé (après la maladie) n’a plus à rester confiné et peut sortir vaquer à ses occupations.
En début de simulation il y a un unique agent infecté : « agent zéro ». Chaque jour, un agent a jusqu’à trois interactions à l’extérieur de la maison et une interaction par habitant de la maison.
Un agent “raisonnable” est un agent dont les interactions sont moins contagieuses grâce aux gestes “barrière” et qui se confine dès qu’il est conscient d’être malade – il n’est plus alors en contact qu’avec sa famille.
La règle de transmission de base est telle que : à chaque pas de temps, l’agent A interagit au hasard avec un agent B dans son voisinage. Si A et B sont déjà infectés ou si aucun des deux n’est infecté, il ne se passe rien. Si B est infecté et A ne l’est pas, alors A devient infecté avec une probabilité de 20%. Cette probabilité change si les agents sont raisonnables : si seul A ou seul B est raisonnable, alors la probabilité est divisée par 2 ; si A et B sont raisonnables, la probabilité est divisée par 4.
Nous pouvons maintenant tester ce modèle.
Commençons par tester le modèle avec les deux situations extrêmes : sans aucun confinement (ce qui permet d’observer la courbe épidémique de base) puis avec confinement parfaitement respecté, c’est-à-dire lorsque tous les agents appliquent les gestes “barrière” et se confinent dès qu’ils sont malades.
Illustration - Situation sans confinement. Les agents infectés qui semblent apparaître spontanément au milieu de l’image ont été contaminés au domicile, par un agent de leur foyer.
La situation avec confinement et 100% d’agents raisonnables n’est pas montrée ici car la maladie ne se diffuse simplement pas. En effet, “l’agent zéro” se confine immédiatement et ses proches aussi se confinent dès qu’ils sont infectés ainsi l’épidémie se termine. Ceci n’est vrai que si l’on suppose que les agents peuvent identifier la maladie dès qu’ils deviennent contagieux (voir plus bas).
Imaginons maintenant que tous les agents ne sont pas raisonnables : regardons ainsi ce qui peut arriver si 80% des agents seulement sont raisonnables. On découvre une situation subtile : si l’agent zéro (le premier à porter la maladie) est raisonnable, alors il n’y a pas de diffusion. Par contre si l’agent zéro n’est pas raisonnable, l’épidémie démarre, mais sa diffusion est moins importante que si aucun confinement n’est mis en place. On note que pendant toute la durée de l’épidémie un grand nombre d’agents continuent à travailler, et que l’on réussit à créer une immunité de groupe où le nombre d’immunisés dépasse le nombre d’agents susceptibles d’être infectés, assez rapidement – l’épidémie est suffisamment étalée.
Illustration - Confinement ciblé avec 80% d’agents « raisonnables ». Les agents «non-raisonnables» sont représentés par des triangles.
Illustration - Quand on passe à 85% d’agents raisonnables, on voit qu’une petite différence transforme beaucoup la dynamique et réduit considérablement le nombre d’agents touchés par le virus durant l’histoire de l’épidémie.
Les choses ne sont toutefois pas si simples. Un des aspects compliqués à gérer de la COVID-19 est qu’elle pose un problème d’observation, même pour des agents raisonnables : ils ne savent ainsi pas toujours qu’ils sont malades, car l’incubation peut durer plusieurs jours et il y a par ailleurs un grand nombre de cas peu symptomatiques et difficiles à interpréter. Quand ils ignorent qu’ils sont dangereux pour les autres, les agents “raisonnables” appliquent les gestes barrière mais restent dans la vie active. Pour le modèle, on va supposer que les agents ne savent pas tout de suite qu’ils sont malades. On peut voir l’effet sur les courbes.
Illustration - Courbe de diffusion de l’épidémie si la maladie est trop discrète pour être perceptible par l’agent durant 1, 4 et 7 jours (de gauche à droite).
Avec 100% des agents « raisonnables », le confinement ciblé stoppe (dans le modèle) la propagation de la maladie même si les agents restent asymptomatiques pendant plusieurs jours. À partir de 7 jours de délai dans l’apparition des premiers symptômes, la maladie arrivera à se répandre même avec le confinement :
Avec 85% des agents « raisonnables », on voit que l’épidémie pourra se propager dans la population même si le délai d’apparition des premiers symptômes n’est que de 1 jour :
Une dernière question qui peut se poser concerne la possibilité d’une réaction décalée des autorités, qui instaureraient par exemple le confinement ciblé en retard par rapport au démarrage l’épidémie. Une situation possible, par exemple, en cas d’anticipation insuffisante de l’épidémie. On peut observer sur les courbes combien ce retard peut être important à la fois pour l’activité économique, la vitesse de diffusion et le nombre d’agents infectés au total.
Illustration - 85% d’agents “raisonnables” sans retard de symptômes avec un confinement immédiat, ou après 7, 10 et 14 jours.
NB: À l’image d’une journée que nous vivons, un jour dans le modèle correspond à un ensemble d’interactions qu’un agent peut avoir à l’extérieur et à l’intérieur de son foyer. Cela ne va pas plus loin et une semaine dans le modèle ne peut pas être directement comparée à une semaine dans le monde que nous connaissons. Il s’agit simplement ici d’explorer l’impact de la temporalité de déclenchement du confinement ciblé sur la dynamique de l’épidémie et de l’économie.
Enfin, il faut rappeler une hypothèse essentielle de ce modèle, dont on peut constater l’effet au niveau macroscopique. Dans le comportement des agents, il est indiqué que ceux-ci sont déconfinés dès qu’ils ne sont plus malades. Pour la COVID-19, il est, semble-t-il, beaucoup plus simple d’identifier la fin de la maladie que le début - on peut faire l’hypothèse que les agents sont donc capables d’identifier leur guérison. Ceci a un impact très net sur la diffusion. On peut comprendre cela par une baisse du nombre d’interactions potentiellement contaminantes : si les agents immunisés ressortent, les agents pas encore infectés ont plus de chance de rencontrer ces agents qui ne sont pas dangereux pour eux que s’ils restaient confinés après leur maladie. Chaque interaction est donc plus probablement non contaminante.
Illustration - 100% d’agents “raisonnables”, 7 jours de retard de symptômes. En noir, les agents guéris sortent de confinement, en turquoise les agents guéris restent confinés.
En conclusion, on peut noter qu’il est théoriquement très simple de contenir largement une épidémie avec un confinement ciblé, même dans les cas où la maladie n’est pas simple à détecter immédiatement. Néanmoins, le nombre d’agents totalement asymptomatiques avec la COVID 19, et sa durée d’incubation qui n’est pas totalement claire encore à ce jour mais semble aller jusqu’à vingt jours, seraient à prendre en compte plus largement si l’on veut réfléchir mieux à l’épidémie en cours. On pourrait penser à un dépistage bien plus systématiques pour révéler les infections, qui par défaut nécessiterait sans doute de proposer le confinement de la famille et des collègues des agents visiblement malades. Ce modèle simple permet néanmoins d’étudier cette option politique, qui présente l’avantage de ne pas engendrer de rebond à la fin du confinement, comme ce qui est craint dans le cadre d’un confinement total.
Jouer avec le modèle :
Si la fenêtre du simulateur est tronquée à l’affichage, il vous suffit d’effectuer un zoom arrière
Simuler l’impact du confinement ciblé
Rappel : les modèles développés sur ce site sont des modèles pédagogiques, bien plus simples que les modèles construits et mis en oeuvre par d’autres équipes scientifiques travaillant sur la COVID-19. Ils ne se substituent pas à ces modèles de référence et ne peuvent pas être utilisés à leur place pour mener des expertises, diagnostics ou pronostics. Notre objectif est de contribuer à la création, au sein de la population, d’une meilleure connaissance des moteurs de cette épidémie qui nous concerne toutes et tous.