Question 17 : Dépistons ! Oui mais qui, quand et comment ?

Nous manquons de tests, utilisons-les intelligemment.

Texte : Carole A., Hélène A. / Simulation : Carole A., Hélène A. / Illustration : Mathieu L., Hélène A.
le 12 Mai 2020 · 22 minutes de lecture

Alors que le déconfinement débute, il est important de choisir une stratégie pour empêcher l’apparition d’une deuxième vague épidémique (un rebond). On estime qu’une très faible proportion de la population est actuellement immunisée (entre 3% et 7% le 11 mai), ce qui n’est pas suffisant pour parler d’immunité collective.

Construire une telle immunité collective n’étant pas envisageable rapidement et sans coût humain important (nous aborderons ce point dans la Q16 en cours de finalisation), il faudrait être capable de confiner de manière ciblée les malades (c’est d’ailleurs la stratégie adoptée dès le début de l’épidémie, à la place du confinement total, par certains pays, comme la Suède, cf Q13) pour leur éviter de contaminer d’autres personnes. Cependant, cela ne sera pas forcément suffisant. Étant donnée la longue période d’incubation de la COVID-19 (une semaine en moyenne et jusqu’à 20 jours), les personnes malades ont le temps d’infecter plusieurs de leurs contacts avant d’être détectées puis confinées. C’est pourquoi on envisage aussi de rechercher et confiner leurs contacts (cf Q14 en cours de finalisation). Par ailleurs, la proportion de cas asymptomatiques étant encore mal connue mais estimée par plusieurs études autour de 30%, on ne peut pas simplement se fier à l’apparition de symptômes pour confiner les personnes malades. Il est donc nécessaire de dépister largement la population.

C’est d’ailleurs ce que recommandait l’OMS dès le 16 mars : tester tous les cas suspects. Mais en France, le dépistage a commencé tardivement et lentement : il a fallu du temps pour mettre au point des tests de qualité et le petit nombre de tests initialement disponibles était limité au personnel médical et aux personnes à risques. Pour plus de précisions sur les types de tests, cliquez sur Aller plus loin à la fin de cette page.

On dispose maintenant de tests de meilleure qualité, mais pour réussir le déconfinement il va falloir élargir les conditions de dépistage, l’objectif du gouvernement français étant de pouvoir tester 700 000 personnes par semaine. Or pour l’instant, la France n’a jamais dépassé 150 000 tests par semaine et l’objectif des 700 000 semble trop ambitieux pour plusieurs raisons :

  • manque de matériel de protection (surblouses, etc), de kits de dépistage, de personnel ;
  • nombre limité de laboratoires non-médicaux réquisitionnés pour réaliser les tests, et qui sont sous-sollicités par rapport aux laboratoires médicaux ;
  • défaut de connexion des laboratoires de tests à la base du gouvernement pour centraliser les résultats.

Des robots de dépistage ont été commandés en Chine pour augmenter la capacité de dépistage, mais il faut recruter et former du personnel pour les faire fonctionner. Ces robots utilisent par ailleurs beaucoup de consommables et les délais de livraison sont très longs. Il faudra donc encore du temps avant d’atteindre cette capacité de dépistage. De toutes façons, la France comptant 67 millions d’habitants, il faudrait près de 2 ans (96 semaines) pour tester tout le monde à ce rythme. C’est beaucoup trop long, d’autant qu’une personne testée négative une semaine donnée peut très bien tomber malade la semaine d’après par exemple.

L’objectif est donc double : on veut connaître le plus précisément possible la situation actuelle du pays vis-à-vis de l’épidémie, et contrôler au mieux la circulation du virus par des mesures adaptées (ni trop contraignantes ni pas assez), tout en sachant que le nombre de tests disponibles pour atteindre ces objectifs est limité. La question qui se pose est donc : qui est-il judicieux de tester en priorité ?

Si on choisit aléatoirement les personnes qui seront testées, étant donnée la faible proportion de personnes infectées dans la population totale, on risque d’avoir très peu de tests positifs et donc de “gaspiller” des tests (peu de chances de “tomber” par hasard justement sur les personnes infectées). Pour cette raison, on a donc tendance à tester plutôt les cas suspects (symptomatiques), mais cette stratégie ignore tous les cas asymptomatiques et pourtant contagieux, qui sont vraisemblablement très nombreux. En début d’épidémie, on a testé les personnels soignants, qui étaient très exposés. En vue de la reprise de l’école, on envisage aussi de tester les personnels enseignants. Plus généralement, il s’agit de tester les personnes qui travaillent à l’extérieur de leur domicile et ont donc un plus grand risque de contracter la maladie. Mais il n’y a pas que par le travail qu’on peut être contaminé (par exemple faire ses courses). On connaît maintenant le profil des personnes les plus à risque de contracter la maladie. Dans l’objectif de les soigner rapidement, on pourrait donc également envisager de tester en priorité les personnes à risque de développer des complications. Mais les résultats ne seront pas représentatifs de la circulation de l’épidémie dans la population générale.

On voit bien qu’il n’est pas facile de trouver intuitivement une stratégie qui soit meilleure sur tous les plans. C’est pourquoi la simulation peut nous aider, en nous permettant de tester différentes stratégies et de mesurer leurs effets.

Dans notre modèle

Caractéristiques de la population

Nous avons modélisé une population de 2 000 individus, répartis en plusieurs catégories d’âge, ce qui influence à la fois leur sensibilité au virus (personnes à risques) et leurs déplacements. Ainsi, dans la tranche d’âge 20-65 ans, 50% des individus doivent sortir pour travailler à l’extérieur de leur domicile (métiers “indispensables”, alors que les autres restent à domicile (télétravail, chômage partiel, garde des enfants, etc.). Les personnes de moins de 20 ans sont considérées comme restant à la maison (enseignement à distance), de même que les personnes de plus de 65 ans (retraitées).

Les individus de notre population peuvent se trouver dans l’un de cinq états distincts vis-à-vis du virus, récapitulés sur le schéma ci-dessous :

  • Sain : n’ayant jamais été infecté, et donc non immunisé
  • En incubation : infecté par le virus mais pas encore malade (durée moyenne de 6 jours)
  • Asymptomatique : malade mais ne présentant aucun symptôme, donc indétectable sans test (30% des malades de moins de 65 ans ; durée moyenne de 21 jours)
  • Symptomatique : malade avec des symptômes (70% des malades de moins de 65 ans et 100% des malades de plus de 65 ans ; durée moyenne de 21 jours)
  • Guéri : immunisé et ne pouvant plus être réinfecté (hypothèse du modèle, on ne sait pas encore si c’est le cas en réalité)

Lors de leurs déplacements dans le monde de simulation, les individus peuvent entrer en contact entre eux. Les personnes infectées (en incubation, asymptomatiques, symptomatiques) sont toutes contagieuses et donc susceptibles de transmettre le virus aux individus sains avec qui elles sont en contact. Les personnes en télétravail ne se déplacent pas mais ont des contacts avec les gens qui passent près de leur domicile (livraisons, courrier, etc.). Elles ont tout de même moins de contacts que les personnes devant sortir pour travailler.

Stratégies de tests

Notre but est de trouver comment utiliser au mieux les tests disponibles chaque jour pour atteindre les deux objectifs principaux d’une campagne massive de tests que nous avons exposés plus haut : connaître l’épidémie, et la contrôler. Dans le modèle, nous pouvons jouer sur plusieurs paramètres :

  • le nombre de tests disponibles chaque jour : la stratégie du gouvernement français prévoit 500 000 à 700 000 tests par semaine, ce qui est équivalent à environ 2 à 3 tests par jour pour la population de notre modèle de 2 000 agents
  • le début de la campagne de tests, c’est-à-dire le moment à partir duquel nous commençons à tester la population. Il est défini dans le modèle par un seuil sur la proportion de personnes symptomatiques présentes dans la population : s’il y a plus de X% de personnes symptomatiques, alors on déclenche une campagne de tests
  • la partie de la population qui sera testée : est-ce qu’on choisit des individus de manière aléatoire, est-ce qu’on cible les personnes symptomatiques, ou les personnes âgées (car plus à risque), ou encore les personnes qui travaillent hors de chez elles ?

Afin de réduire la propagation du virus, les personnes testées positives sont alors mises en quarantaine et donc totalement isolées : elles ne peuvent plus transmettre le virus.

Inférence de la courbe épidémique

À partir des résultats des tests réalisés, on peut reconstruire la courbe du nombre de cas : le nombre de tests positifs sur l’ensemble des tests réalisés permet d’obtenir une estimation de la proportion de cas dans la population générale. Un des avantages de notre modèle est qu’on connaît le “vrai” nombre de personnes infectées au cours du temps puisqu’on connaît le statut de tous les agents. On peut donc comparer la courbe estimée à partir des tests et la courbe “réelle”, pour vérifier si les estimations sont correctes ou non.

Pour calculer cette estimation, on pourrait penser intuitivement qu’il suffit de faire une “règle de 3”, un calcul de proportionnalité : par exemple, si on fait 700 000 tests et qu’on détecte 1 000 malades, alors on déduirait que sur 70 000 000 d’habitants en France, il y a 100 000 malades. Mais cette simple règle de proportionnalité fonctionne mal en épidémiologie, notamment quand le nombre de personnes testées ou la prévalence de l’épidémie (i.e. le nombre de cas total à un moment donné) est trop faible, ce qui est le cas en début et en fin d’épidémie, et quand le test de dépistage n’est pas complètement fiable. Une autre méthode d’estimation consiste à calculer les valeurs prédictives du test, qui dépendent de trois éléments : prévalence de l’épidémie, taux de faux positifs et taux de faux négatifs obtenus avec le test de dépistage.

Les nombres de cas donnés chaque jour par le gouvernement français sont issus des résultats des tests et de l’expertise des soignants, puisqu’on ne connaît évidemment pas le “vrai” nombre de personnes malades comme dans une simulation. La méthode de calcul est plus complexe que celle que nous utilisons dans notre modèle, qui est une simplification de la réalité, mais elle a également des marges d’erreurs et des biais potentiels, comme toute estimation statistique.

Scénarios d’application pour 2 000 individus

Comparaison des nombres de cas estimés pour les différents échantillons de population

Regardons ce qu’il se passe si nous choisissons un nombre de tests quotidiens équivalent à la stratégie du gouvernement français, i.e. 3 tests pour 2 000 personnes, et qu’on commence à tester dès l’apparition du premier cas. Nous comparons les courbes représentant le nombre de cas estimés par règle de proportionnalité (en rouge dans les figures ci-dessous), le nombre de cas estimé par calcul des valeurs prédictives (en bleu) et le vrai nombre de cas dans le modèle (en noir), pour chacun des échantillons de population.

En testant aléatoirement En testant les
personnes symptomatiques
   

En testant les
personnes âgées
En testant les
personnes travaillant
hors domicile
   

Premièrement, on remarque que les courbes bleues et rouges (les cas estimés) varient beaucoup plus que les courbes noires (les cas réels). En effet, elles dépendent du nombre de tests positifs chaque jour, qui peut varier énormément selon qui est testé. En général on choisit de “lisser” cette estimation en faisant une moyenne des résultats des tests sur plusieurs jours (ici nous faisons la moyenne sur 7 jours), mais il y a toujours une plus grande variabilité selon qui est testé chaque semaine. Par exemple beaucoup de tests négatifs peuvent faire estimer une baisse de l’épidémie qui n’est pas forcément réelle (il se peut qu’on ait juste testé des personnes non malades, ce qui ne veut pas dire que plus personne n’est malade).

On remarque aussi que les courbes bleues (par valeurs prédictives) estiment mieux le nombre de cas que les courbes rouges (par proportionnalité), notamment en début et en fin d’épidémie quand la prévalence du virus est plus faible, et notamment pour l’échantillon de personnes symptomatiques, moins représentatif de la population globale.

Ensuite, on observe que la pire estimation a lieu lorsqu’on teste uniquement les personnes symptomatiques (figure en haut à droite) : comme on ne teste que des personnes symptomatiques, ayant donc une forte probabilité d’être infectées par la COVID-19, on surestime le nombre réel de cas dans la population générale. Étant donné que les tests que nous modélisons ici sont des tests de diagnostic, il n’est en réalité pas judicieux d’extrapoler le nombre de cas dans la population générale à partir des résultats des tests effectués uniquement parmi des personnes présentant des symptômes, le modèle le confirme ici. Ces tests permettent de contrôler l’épidémie en confirmant et confinant les personnes infectées, mais ne permettent pas de connaître sa diffusion dans la population.

Comparaison selon le nombre de tests quotidiens disponibles

Regardons à présent ce qu’il se passe si nous choisissons d’augmenter le nombre de tests quotidiens : on commence par 3 tests pour 2 000 personnes en haut à gauche, puis 6 tests pour 2 000 en haut à droite et enfin 9 tests pour 2 000 en bas. Les simulations sont réalisées pour l’échantillon aléatoire, avec un début des tests dès le premier cas d’infection. Les figures suivantes montrent uniquement l’estimation par valeurs prédictives, meilleure que celle par proportionnalité.

3 tests pour 2 000 personnes 6 tests pour 2 000 personnes
   

9 tests pour 2 000 personnes  
   

On remarque que plus le nombre de tests est élevé, meilleure est l’estimation du nombre de cas dans la population générale. Après une surestimation initiale, quand il y a encore très peu de cas dans la population et donc très peu de tests effectués, la courbe reconstruite reproduit ensuite assez précisément la courbe épidémique réelle, en particulier au niveau du pic, moment clé de l’épidémie.

Comparaison selon le moment de déclenchement de la campagne de tests

Si on attend avant de déclencher la campagne de tests qu’il y ait 15% d’infections dans la population, la connaissance que l’on pourra avoir de l’épidémie sera fortement diminuée, et ce même si on augmente le nombre de tests quotidiens disponibles. Les simulations sont réalisées pour l’échantillon aléatoire.

début immédiat - 3 tests/2000 début à 15% - 3 tests/2000
   

début immédiat - 9 tests/2000 début à 15% - 9 tests/2000
   

On observe qu’avec 3 tests pour 2 000 personnes (première ligne), la courbe reconstruite n’arrive pas à capturer le pic épidémique lorsqu’on commence après 15% d’infections (figure de droite). De même, malgré l’augmentation du nombre de tests à 9 pour 2 000 personnes sur la deuxième ligne, on remarque que l’identification du pic est plus hasardeuse et conduit à une forte surestimation dès le pic passé (figure de droite), ce qui ne se produit que lorsque le nombre de cas devient très faible sur la figure de gauche (début immédiat des tests).

À vous de jouer

Dans le simulateur ci-dessous, vous avez plusieurs leviers d’action :

  • Modifier le nombre de tests possibles par jour et donc le temps nécessaire pour tester tout l’échantillon ciblé
  • Modifier la date de début des tests : dès le début de l’épidémie ou bien plus tard
  • Choisir qui est testé : les personnes travaillant à l’extérieur, les personnes les plus âgées, des personnes au hasard, les personnes présentant déjà des symptômes pour confirmer qu’il s’agit bien de la COVID-19.

Vos objectifs :

  • Minimiser le nombre total de tests utilisés
  • Minimiser la propagation de l’épidémie, i.e. le nombre total de malades
  • Minimiser le nombre de personnes confinées “pour rien”, i.e. de tests faux positifs
  • S’approcher autant que possible de la courbe “réelle” pour avoir une connaissance précise de l’épidémie en cours

Nota Bene Pour voir les résultats obtenus par un algorithme permettant de trouver la stratégie optimale avec notre modèle : Aller plus loin !

Si la fenêtre du simulateur est tronquée à l’affichage, il vous suffit d’effectuer un zoom arrière.

Simuler différentes stratégies de dépistage

Pour conclure

On a vu ici que l’organisation du dépistage est une question complexe. Il est important de commencer à tester tôt, mais la mise au point d’un test fiable prend du temps et les premiers tests sont peu informatifs (trop de faux positifs / négatifs).

Nota Bene Pour plus d’informations sur la qualité des tests et son importance dans l’estimation du nombre de cas : Aller plus loin !

Il est aussi nécessaire de tester un échantillon représentatif de la population, mais les contraintes sur le nombre de tests disponibles poussent à les réserver aux personnes le plus probablement positives. Cette stratégie offre un meilleur contrôle de l’épidémie (dépistage et confinement de tous les cas suspects), mais elle peut conduire à une surestimation du nombre de cas dans la population et donc à des mesures de contrôle trop restrictives.

Comme souvent, la vérité est une question d’équilibre.

Rappel : les modèles développés sur ce site sont des modèles pédagogiques, bien plus simples que les modèles construits et mis en oeuvre par d’autres équipes scientifiques travaillant sur la COVID-19. Ils ne se substituent pas à ces modèles de référence et ne peuvent pas être utilisés à leur place pour mener des expertises, diagnostics ou pronostics. Notre objectif est de contribuer à la création, au sein de la population, d’une meilleure connaissance des moteurs de cette épidémie qui nous concerne toutes et tous.

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